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Quelques extraits de la pièce

Par Dominique Alexiou

Au croisement d'un feu, le temps suspend son vol.
Lamine vole cet instant pour une éternité éphémère.
Il survole au-dessus de sa vie, qu'il parcourt, le temps d'un feu.
Alors qu'il s'est « volatilisé dans un autre coin foutu de la terre ».
Une éternité passagère.
Il prend le temps, alors que les gens

« ils ne savent plus attendre, ils n'ont plus le temps d'attendre, ils veulent courir, courir vers quoi ? Vers où ? »

Long monologue. Celui d'un homme qui s'interroge.
Dans un carrefour perdu de sa vie. Il doit prendre une décision cruciale.
C'est le moment, mais il ne peut. Deux forces contraires le tirent dans un sens et dans l'autre,
et c'est l'inertie.
Le temps d'un feu.
Perdu dans le labyrinthe intérieur.
Face à ses choix, à ses décisions.
… Lui, « qui ne vaut pas son propre cul » aux yeux de cette femme esseulée qu'il abandonne enceinte pour partir trouver du travail ailleurs et quitter son pays.


« Oui madame je ne suis pas d'ici, je ne sais pas si je suis de quelque part d'ailleurs, si je serai de quelque part un jour, peut-être si vous me dites ce que je dois faire, je me trouverai un quelque part... »

© Emile Zeizig

Monologue ? Plutôt des dialogues multiples. Jeu de miroirs.
Il interpelle une dame, son ami d'enfance et vagabond Robert, son père, sa mère, le public, ... enfin toutes ces facettes multiples constituant une unité fuyante : lui-même.
Voix qui se démultiplie sur scène et reprise en écho par trois musiciens/acteurs: le duo Faso Kombat & Bonssa. Le texte prend alors une autre dimension. Voix (où langues s'entremêlent : français, bissa, mooré), corps, instruments à corde (kôni, guitare) lui confèrent un souffle nouveau, une énergie extrêmement puissante. Tous les quatre ont une vraie présence sur scène émanant de la force de leur jeu.

Lamine, laminé. Laminaire. Miné.
Son passé gicle, son présent piétine, son avenir ? : « pas le moindre bout d'horizon à l'horizon ».
Face à ses peurs, une paternité non assumée, voix qui se ment mais qui se révèle aussi à elle-même  :

« (…) je ne voulais pas partir, mais il fallait être ou ne pas être. Etre le père qui se demande comment, qu'est-ce que son enfant va manger aujourd'hui, être le père qui fuit le regard inquiet, interrogateur de son enfant, être le père qui se demande pourquoi les autres mangent, boivent,  se soignent, s'amusent, et pas lui... »

Drame hamlétien; dilemme cornélien : partir ou rester ?
Tel Hamlet le funambule qui doit traverser un vide abyssal, Lamine doit tenir debout et avancer sans tomber au fond du gouffre, sans chute précipitée... mais prendre quelle direction ?

© - Emile Zeizig
© - Emile Zeizig

Et c'est cette inconnue croisée au feu qui est censée lui apporter la réponse ou plutôt un sens à sa vie, lui donner la bonne direction à prendre.
Mais cette inconnue est aussi la tentation, avec son sac Louis Vuitton, sa carte bleue, sa voiture.
La voix de la mauvaise conscience de Lamine, incarnée par Robert, le pousse à la violence.
Mais aussi la misère, la parole non tenue, parole scellée par un pacte de sang entre la femme aimée, quittée, et lui.
Lamine, laminé par le destin tragique de ceux qui partent, à l'instar des Donsos, ces chasseurs qui ne doivent jamais revenir bredouilles, sinon, « ils s'offrent la mort comme gibier »...

Et pourquoi ces cordes cousues autour du col du chanteur ou bien autour des manches du deuxième musicien ? N'évoquent-elles pas le suicide ou l'incapacité à agir ?

Cette pièce est aussi une critique du système capitaliste. Système qui broie tous ceux qui se plient à sa logique et qui les fait s'éloigner de leur pays, les menant vers un égarement intérieur...


« (...)pendant ce temps nous nous ignorons en buvant dans nos petits coins nos cocas, nos bières, pendant ce temps le capital va au capital et nos poches continuent à se trouer et les termites n'arrêtent pas de ronger les os de Karl Marx (...) »

« Pourtant j'ai cherché madame, mais vous savez comment ça se passe madame, plus de travail nulle part, à qui la faute, à la crise madame, qui est le père de la crise, madame, le capital, madame, le capital qui vient nous voir , le capital n'est pas comme des espoirs attendus des pères, non madame, le capital lui, ne nous voit que comme des bêtes de somme assommées par le travail que nous cherchons tous, afin qu'on produise, produise, produise, encore plus, beaucoup plus, toujours plus pour capitaliser le capital dans toutes les capitales du capitalisme, madame... »

Un texte éblouissant de poésie, concis mais riche et incisif ; lapidaire, puissant.
Et si je les tuais tous (2011) est une pièce qui résonne et qui fait écho à Les larmes du ciel d'août (2006) où c'est la voix de la femme enceinte esseulée que nous écoutons. Les deux textes sont publiés dans le même recueil.
Deux pièces fortement contemporaines, à la portée universelle, dépassant toutes les frontières et interrogeant l'humain au fond de nous.

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