Par Dominique Alexiou

 

Tout commence dans un monde régi par ses lois propres, ses rites, ses coutumes.

Un monde où l’équilibre du clan repose sur le respect des codes ancestraux sous peine de lourds châtiments.

Okonkwo incarne ce monde. Inflexible, il s’élèvera dans la société Ibo d’Umuofia (Sud-Est du Nigeria) par la force de ses mains, essuyant l’affront d’un père paresseux et indigne.

« Possédé » par l’échec du père humiliant, il s’est construit sur cette base : se surpasser pour ne pas lui ressembler. Parti de rien, il deviendra un riche fermier à la tête de trois épouses et de huit enfants, jouissant d’une renommée puissante.

Mais lui en tant que père, parviendra-t-il à faire respecter la transmission de ces lois invariables ? Sont-elles toutes justes, aux yeux de son fils aîné Nwoye ?

Ne sera-t-il pas victime de ses ambitions démesurées ?
Cet homme qui s’est battu pour se faire une place au sein de son clan va cependant devoir traverser à nouveau de rudes épreuves, comme son déclassement et son exil dus à un incident tragique. Mais il reviendra lavé de sa faute et ayant à nouveau gravi les échelons.

Qu’est-ce qui va faire que tout va basculer ?
Quel serpent perfide va s’infiltrer dans la brèche et faire exploser toutes les valeurs régnant depuis des siècles dans cette forêt équatoriale ?

Nous allons assister aux prémices de l’entreprise de déculturation des missionnaires chrétiens dont l’intrusion a bouleversé l’équilibre des clans. Ces sociétés traditionnelles se retrouvent dépossédées d’elles-mêmes, puisque les colons vont implanter leur système judiciaire et leurs lois par la violence, arrivés en pays conquis. Nous sommes au tout début de la colonisation, et nous assistons aux mouvements de résistance à cette nouvelle forme d’aliénation.

En tant que membre éminent de son clan, Onkonwo parviendra-t-il à préserver celui-ci de toutes les agressions extérieures ?

A la croisée de deux mondes.
Collision. Choc. Violation.
Deux mondes qui vont se rencontrer et ne pas se comprendre.
La barbarie et la cruauté de l’un va se confronter à l’authenticité et l’immuabilité de l’autre.
Comment avancer ainsi ? Comment construire ensemble ?

 

LIRE EST VITAL

 

 

 

Ce monde qui fonctionne en vase clos, celui du village nigérian, n’est pas non plus irréprochable… il a sa part de cruauté, certains tabous et rituels sont inhumains…
Ce n’est pas toujours un monde idyllique…
Mais, malgré cela, il est porteur de valeurs anciennes et fortes.

C’est avec objectivité que Chinua Achebe nous décrit les rites d’initiation, les mariages, les enterrements, les croyances, les rituels, les traditions liées à la terre et à la justice, les peines sévères…
Tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir… L’auteur nous apprend à relativiser…

Les missionnaires chrétiens ont su « récupérer » tous les proscrits de la société Ibo dits Osu ainsi que les jumeaux dont on se débarrassait et leur apporter quelques réponses rassurantes. Voilà comment on apaisait leurs âmes blessées :

« Devant Dieu, il n’y a pas d’esclaves et d’hommes libres. Nous sommes tous des enfants de Dieu et nous devons accueillir nos frères. »

déclare M. Kiaga, missionnaire. Si tous les colons chrétiens avaient pu suivre cette sage devise…

Le long du livre nous percevons tout à travers le point de vue d’Okonkwo et des villageois…
Cela permet de se départir du regard européocentrisme et de voir autrement la réalité africaine, pour les Occidentaux.

Okonkwo va-t-il sortir vainqueur de cette machine infernale ?

Et c’est la rage entre les dents que l’on referme ce livre.
La fin ne peut que faire exploser notre révolte et notre colère.

Un hommage rendu à l’Afrique précoloniale.
Une réflexion sur les « bienfaits » de la colonisation.
Une méditation sur le respect de l’Autre, de sa différence, de sa particularité, de son humanisme… qu’il faut considérer sur un même pied d’égalité, avec ses grandeurs et ses misères, ses failles et ses richesses. Message à la portée universelle.
Publié en 1958 au Nigeria pour la première fois, à l’aube des Indépendances africaines, ce roman va marquer son époque. En 2008, le monde anglophone a célébré le cinquantenaire de sa publication, considérant l’auteur comme « le père du roman africain ». Pour lui, Chinua Achebe est l’un des écrivains d’Afrique les plus lus et les plus étudiés.

 

Tout s’effondre est la deuxième traduction de ce livre. Elle est publiée en Août 2013 chez Actes Sud, dans la série « Lettres africaines » dirigée par Bernard Magnier. La première version s’intitule Le monde s’effondre (Things fall appart). Ce livre a été traduit en une cinquantaine de langues et vendu à plus de dix millions d’exemplaires.

On peut lire sur la quatrième de couverture :

« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur », dit un proverbe africain que Chinua Achebe aimait à citer. Avec ce roman magistral, il devenait l’un des premiers lions du continent à prendre la plume. »

Il est temps de voir les faits d’un autre point de vue, d’un point de vue « afro-centré », aussi…
Nous avons besoin de changer régulièrement de focale, sinon, nous sombrons dans des dérives comme celles vécues en France il y a quelques mois à l’encontre d’une grande dame à un fort taux de pigmentation de peau…

« On ne naît pas raciste, on le devient »

, clame Lilian Thuram.

Chinua Achebe a déclaré :

« Des auteurs comme Ernest Hemingway ont représenté la population noire africaine comme des sauvages et sont ainsi à l’origine d’un immense blasphème. C’est pourquoi j’ai décidé de tenter d’écrire des livres où les personnages étaient des Africains comme je les connais. »

Il a dit aussi en 1965 :

« Pour ma part, je serais plus que satisfait si mes romans pouvaient déjà montrer à mes lecteurs que leur passé -avec toutes ses imperfections- n’étaient pas une longue nuit de sauvagerie dont ils ont été délivrés par les premiers Européens agissant au nom de Dieu. »

 

 

« lire est vital »