Fuir à tout prix  Lotus, ce trou perdu de Georgie.

Mais à quel prix ?

Quand on est un jeune homme noir aux Etats-Unis, dans les années 1950, en pleine ségrégation raciale, où aller pour changer de vie, sans rien dans les poches (même si on s’appelle ironiquement Frank Money) ?

Frank décide de s’enrôler dans l’armée… et de faire la guerre de Corée.

Reviendra-t-il indemne ?

Physiquement, oui. Ses deux meilleurs amis, non, tués.

Psychiquement, il revient en lambeaux.

Et c’est avec ces débris de lui-même qu’il va devoir essayer de continuer à vivre.

Parviendra-t-il à se libérer des images cauchemardesques ramenées de la guerre et à se reconstituer ?

Nous le suivons pas à pas… de sa fuite d’un hôpital psychiatrique pieds nus dans la neige qui ouvre le roman, sur les routes d’une Amérique discriminatoire, de Seattle à Atlanta pour rejoindre sa jeune soeur gravement malade. Il est en possession du guide de Green, guide de voyage à l’usage des Noirs, afin d’éviter les nombreux passages à tabac… car aller d’un état à l’autre quand on est Noir est est un véritable parcours du combattant (et Frank doit éviter une nouvelle guerre !).

Nous suivons aussi les pas et les rêves de deux autres personnages féminins auxquels il est profondément lié : sa soeur Cee, plus jeune que lui et qu’il a toujours surprotégée, et Lily, son amour.

Des personnages qui essaient de sortir de l’état dans lequel la société ségrégationniste les met,

un état d’aliénation totale.

Cee, prisonnière pendant son enfance de l’emprise de la méchante Lenore, la femme de son grand-père, tente de s’émanciper et de quitter ce bled en partant avec le premier venu. Il l’abandonnera à Atlanta où elle devra se battre pour trouver du travail.

Sortira-t-elle indemne de cette expérience ?

Le rêve de Lily, c’est d’avoir sa maison pour elle, comme les Blancs. Mais vivre avec un homme étrange, Frank, aux réactions parfois insensées, par moments hagard, et sans but dans la vie, l’empêche de mener son rêve jusqu’au bout.

Home. A la maison. Mais quelle maison ?

Où s’enraciner ? Où trouver le centre du labyrinthe, au risque de rencontrer sur le chemin des Minautores ? Des sorcières anthropophages qui cherchent à dévorer l’innocence d’enfants qui devront assumer seuls leur traversée dans le monde des adultes, une forêt de cruauté.

Mais ce monstre à combattre, c’est aussi soi-même. Il faut lutter contre ses propres démons pour parvenir enfin à trouver une sérénité intérieure. Une paix avec soi-même.

Une naissance à soi est-elle possible malgré la laideur du monde ?

Home, retour aux sources. Retour à l’Humanité.

Home, sérénité que nous procure le jardin que l’on cultive, notre jardin intérieur.

Mais où va-t-il prendre forme ?

Loin de la froideur de la ville dominée par les Blancs, inhumaine, déshumanisante…

Lorsque Frank est hébergé chez Billy, Noir rencontré le jour-même et qu’il demande au fils de ce dernier ce qu’il souhaiterait faire comme métier plus tard, cet enfant de 11 ans répond : « Homme » (homonyme du titre du livre!). Précisons qu’un flic blanc s’était défoulé sur lui lorsqu’il avait 8 ans en lui tirant dessus… et en le paralysant d’un bras…

La pureté originelle de ces deux grands enfants, Cee et Frank, sera-t-elle corrompue après avoir accédé au monde des adultes et des racistes ?

Les rêves sont-ils possibles pour la communauté noire, brisée et pauvre ?

Où se trouve donc ce jardin secret ?

Faut-il suivre le modèle de promotion des Blancs, ou bien peut-on parvenir à la plénitude intérieure ailleurs, autrement ?

Home. La solidarité enfin trouvée.

Car cette communauté noire qu’on a cherchée à humilier a su rester soudée.

Le lecteur-explorateur suit l’histoire et tente d’en résoudre l’énigme en naviguant de personnage en personnage. Le récit est polyphonique nous permettant de plonger dans les pensées parfois dédaléennes des trois protagonistes. On s’y perd et on s’y retrouve.

Le rythme narratif suit une certaine linéarité : la trajectoire de Frank, dans ce « road novel »… entrecoupée de flashs-backs : l’enfance du frère et de la soeur chérie, la guerre…

La fin nous explose à la figure, pleine de grâce et de beauté.

D’une violence salutaire.

Grâce à elle, le roman forme une structure cyclique, mouvement maternel, rassurant, redonnant naissance à des morts-vivants qu’étaient devenus ces deux jeunes.

Une Renaissance après un voyage initiatique macabre et destructeur.

C’est pas à pas que nous ramassons les débris, que nous reconstituons le puzzle, que nous en construisons le sens. Rien ne nous est donné à l’avance. L’écriture parfois sibylline et kaléïdoscopique de Toni Morrison est un mystère à élucider.

Elle recompose fragment par fragment la mémoire non seulement des personnages mais aussi de toute une communauté rejetée, de sa souffrance et de ses mythes.

Il y a toujours cette puissance poétique et cette splendeur de l’écriture, incisive, percutante, musicale, « jazzée », sublimées par la concision et la sobriété du roman.

Ce livre se lit avec fluidité, il a la gracilité d’une nouvelle.

Home est la quintessence des oeuvres précédentes. Tous les thèmes chers à Toni Morrison s’y concentrent.

Il pose la question fondamentale de la condition humaine, explore l’esclavage sous toutes ses formes, même les plus modernes, ainsi que la cruauté.

Un conte contemporain, réécriture de Hansel et Gretel, traitant de l’amour inconditionnel d’un frère et d’une soeur. Cela nous saisit jusqu ‘aux tripes.

Ode à la Vie, à l’Amour. A la reconstruction de soi après l’expérience de la Mort.

Hymne à la beauté de la nature, à la simplicité de la vie. A la liberté d’être Soi, de casser les chaînes que l’Autre nous attache d’une manière ou d’une autre.

Ode a un peuple qu’on a animalisé et qui a su se relever, comme ces chevaux dont se souvient Frank à l’ouverture du roman :

« Ils se sont dressés comme des hommes. On les a vus. Comme des hommes ils se sont mis debout. »

Le Livre

    Home

Home

Tony Morrison

10/18

Achetez ce livre en ligne

Vous pouvez aussi nous laisser un commentaire. Merci.