Aujourd’hui j’ai assisté au troisième Séna organisé par Gerty Dambury au Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie (Paris).

Quelle belle surprise de constater la qualité de ce rassemblement culturel!

Le thème d’aujourd’hui était le conte,  les activités de l’après-midi étant organisées autour du Conte.

 

Tout s’enchaînait merveilleusement bien

Dans un cadre amical, les intervenants se succédaient avec fluidité, les uns après les autres, dans un mouvement verbal harmonieux empreint de merveilleux. On passait d’un conte à l’autre, d’un sujet à l’autre sans anicroche suspecte ni pause incongrue, lors des interventions et des mises en scènes de chaque comédien. Ils étaient répartis en deux groupes (12-15 au total). Ils disaient ou racontaient, en faisant vivre leur récit ( et l’expression est faible) chacun à sa manière avec beaucoup de style et de virtuosité.

Le tout était orchestré par un maître de cérémonie (MC) plein d’aisance et d’élégance, le slameur Timalo.

Pour une première, j’étais ravi.

Les critiques concernant les deux premières cessions étaient positives, c’est pour cela que je m’y suis rendu. Eh bien, sachez que, dorénavant, je ne voudrais pour rien au monde en manquer une.

 

Soyons sérieux, mais ne nous prenons pas au sérieux

Rires et bonne humeur étaient de mise… personne sérieuse s’abstenir, pas sérieuse persona non grata. C’était incroyable de constater la fraîcheur et la modernité de cette réunion, qui je le rappelle, est à l’origine un rassemblement public. Car c’est sur la place de la Victoire à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe que sont nés les Sena dans les années ’60 – ’70. De nos jours, ils ont toujours lieu, disséminés un peu partout dans l’île. Des groupes de personnes se retrouvent de manière informelle pour discuter de sujets variés.

Aujourd’hui, c’est une très belle initiative mise en place par la guadeloupéenne Gerty Dambury, écrivaine, dramaturge et comédienne. La particularité de ses Séna réside dans le fait qu’ils s’articulent autour de genres littéraires : le 7 avril autour du Théâtre, le 9 juin autour de la Poésie et le 6 octobre autour du Conte.

Quand on arrive au début, on a envie de se faire tout petit dans l’assemblée. Mais très vite on se sent à l’aise, parce que l’atmosphère est conviviale, et l’accueil plus que chaleureux. Je me suis senti comme à la maison, en famille pour ainsi dire…

Le cadre particulier du théâtre de l’Epée de Bois s’y prête aussi. Il est  bien choisi pour adapter cette manifestation en intérieur. C’est un espace agréable et accueillant fait pour recevoir en son sein la parole libre. Un lieu de rencontre où la pensée donne libre cours à son expression pour faire naître ou renaître les cultures…

Nous avions, en outre, l’heureuse surprise d’être en présence de grandes personnalités tel que l’actrice française Richard Firmine et l’écrivaine Maryse Condé très discrète ce jour-là.

 

Dans le travail, l’union fait toujours la force

Aujourd’hui, il y avait des conteurs africain, antillais, créole, réunionnais, français et même une polonaise qui chantait en créole  grâce aux connivences des cultures. Malgré leur diversité et leurs différences, elles sont paradoxalement les mêmes quelque part.

A travers les contes clamés et quelques proverbes populaires créoles que le MC réclama à un moment donné, nous avons pu entendre le conteur réunionnais Papang nous expliquer qu’il y a une similitude entre toutes les cultures du monde. Il ajouta que ce sont les mêmes proverbes que l’on retrouve un peu partout. Ils prennent des formes différentes selon les circonstances, les modes de vies, les climats et autres aléas de l’existence.

Ce qui est vrai d’un certain point de vue, car lorsqu’ils ont fait systématiquement la traduction des contes et des proverbes, nous percevions les correspondances en français.

Autres choses encore qui faisaient la beauté de cette rencontre, c’était de voir avec quelle verve certains conteurs clamaient leur texte. Chacun dans un créole différent faisait la traduction simultanée de l’histoire, du créole au français, sans jamais faillir, en s’adaptant aux réactions d’un public tenu en haleine et médusé.

A chaque fois qu’un conteur racontait une histoire, on avait envie que cela dure éternellement, car c’était beau et bon à entendre. On se sentait littéralement emportés par ces récits qui nous offraient un enseignement de vie, et tout cela de manière ludique.

C’est alors que s’ouvrit un débat sur les ponctuations existant dans le conte, sa fonction dans la sphère sociale des sociétés traditionnelles.

Ce qui met aussitôt en lumière le rôle éducatif très important du conte dans les sociétés de jadis. Et même dans nos sociétés modernes d’aujourd’hui, cela reste un outil d’éducation très efficace.

Comme nous l’a si bien dit le conteur africain  Tadié Tuéné en racontant son expérience avec des jeunes de banlieue désœuvrés, en difficulté, confrontés à la délinquance. « Ils ont été transformés grâce à un atelier de conte » qu’il anima pendant un temps. « Cet atelier a permis à une grande majorité de retrouver le chemin des études » a-t-il ajouté. Et aujourd’hui, a-t-il témoigné encore, « il y a eu certains d’entre eux (2 à 3) qui ont même préparé des thèses, et ont parfaitement réussi leur insertion sociale, loin des actes de violence qui alimentaient leur quotidien ».

 

Le temps nous le dira ( Time Will Tell )

A vrai dire, cette expérience du Sena est à renouveler impérativement, parce que j’y ai beaucoup appris. Ce cénacle m’a fait penser aux salons littéraires des siècles passés où artistes, intellectuels, mécènes se rencontraient pour échanger sur de nombreux sujets littéraires, artistiques et sur leur actualité.

Au passage, je tiens à faire remarquer que c’est encore une initiative féminine.

Et cela reste pour moi le vivier d’une nouvelle intelligentsia africano-antillo-européano-française d’où sortiront des idées et concepts qui feront date dans l’histoire. Allez-y et vous verrez. Time Will Tell…

Ecoutez cet extrait du conteur martiniquais Igo Drané.

P.S : La seule chose que je regrette de cette agréable après-midi, c’est de n’avoir pas eu le temps de goûter aux délicieux tourments d’amour faits par la chef elle-même, Madame Gerty Dambury. Trop occupé que j’étais, à prendre des photos et faire connaissance avec les différents intervenants et les participants.

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