Trois voix. Trois regards. Trois mélodies. Trois rythmes.

Trois variations sur le même thème : la Mort.

Trois chants à la mémoire de tous ces morts tués par milliers sur cette île oubliée de tous…

sur cette île torturée par tous…. Haïti.

Trois échos sur les mêmes événements atroces d’une nuit interminable, cauchemardesque, d’une nuit « qui peut durer des jours, des années, toute une vie ».

« Notre histoire est un calypso d’apocalypse »…

«Oui, cela commença un jour d’avril aux funérailles du président »…

Les voix d’une vieille tenancière de bordel, d’un intellectuel et d’un chauffeur de taxi s’entremêlent et nous content la lutte terrible, en ce jour de funérailles, entre les partisans du Grand Dictateur-Décédé-vivant-éternellement et ceux d’un nouveau populisme qui exploite la souffrance du peuple, celle du Prophète.

Vers une nouvelle démocratie ?

Jusqu’à quand tous ces corps qui gisent, ces corps mutilés, ces corps innocents qui ont eu le malheur d’être là où il ne fallait pas et qui ont assouvi la cruauté sans limites d’êtres devenus monstrueux une fois montés au pouvoir ?

Tout cela nous semble surréaliste. Et pourtant, cela est bien réel!

Cette nuit-là, ce fut la mort de l’Humanité. Elle ne sourira plus sur cette île décharnée…

« Et vive la démocratie, la fatrasie, la bureaucratie, la miséro-cratie, la honto-cratie, la débilo-cratie, la dévoro-cratie, toutes les crasses et toutes les inepties, tous les noms et toutes les astuces, tout le decorum civilo-militaire pour se repaître de nos illusions et de nos désespoirs. »…

Nous voyageons à travers le chemin sinueux de la pensée de ces trois personnages… Trois chemins si différents mais peignant la même horreur, vue sous trois angles distincts. Le lecteur s’identifie complètement aux trois car ils racontent à la première personne du singulier.

La tenancière est la Mémoire. Elle rappelle les faits, condamne et dénonce. L’intellectuel s’interroge. Le chauffeur, incarnant le petit peuple, nous donne une vision plus simple et un peu triviale mais tout aussi forte, pleine d’espoir.

Un voyage au bout de la nuit qui nous mène où, finalement ?

Et quelle est cette rue des Pas-Perdus ? Une rue qui conduit vers la perdition, vers la mort ? Ou bien, au contraire, la rue de ceux qui ne sont pas perdus, de ceux qui ont échappé à la tragédie ?

La rue de l’Espoir, dans ce labyrinthe qu’est la vie ?

Une réflexion philosophique sur l’existence, le pouvoir, la mort, l’amour, la violence.

Une écriture d’apparence  inaccessible car nous sommes directement plongés dans le monologue de chaque personnage. Le flot de leur discours semble incohérent. Des phrases-fleuve suivent les méandres de leur pensée, des phrases intarissables, très rythmées, dans lesquelles on peut se perdre, mais où l’on finit par se retrouver, se ressourcer… Ecriture chaotique. Miroir du chaos de l’île. Ecriture baroque. Des phrases mélodiques et lourdes de sens. Pas des ornements, mais des napalms. A lire en filigrane, profondément poétiques ; une musique lancinante se dégage à travers ces trois voix, si différentes mais si vraies ; une langue unique, riche, authentique, métaphorique, vivifiante ; un lyrisme qui manipule en quelque sorte « l’art baroque du bricolage » … des mots et de leur musicalité.

Un vrai petit bijou, de la fine dentelle.

N’oubliez pas de nous laisser vos impressions après la lecture du livre. Merci.

 

Le Livre

    Rue des Pas-Perdus

Rue-des-Pas-Perdus

Lyonel Trouillot

Edition Babel

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